Analyse philosophique de Starobios

Les éditions Librement proposent à ses lecteurs une analyse philosophique de certains de ses ouvrages.

Je remercie Elodie Cabeau-Richard qui nous livre ici son analyse philosophique de la série de science-fiction Starobios.

Elodie Cabeau-Richard est titulaire d’un Master II en philosophie, histoire de la philosophie, philosophie de la connaissance à Paris X. Elle a enseigné la philosophie en lycée et anime des débats philosophiques depuis plus de 15 ans auprès d’un public varié : adultes, enfants, adolescents, prisonniers, personnes âgées et personnel médical. Elle a créé l’association « Philosophons ».

Vous êtes prêts ?

Alors prenez votre livre en main et c'est parti pour l'analyse du premier chapitre !

(chaque analyse de chapitre sera publiée progressivement)

 

Starobios - Pleine conscience

Chapitre 1

- Fraternité -

 

Page 8 : « Pourrais-tu me dire d’où je viens et qui je suis ? »

Saphir se pose deux questions existentielles sur son origine et son identité. Mais il se sent démuni pour y répondre. Il n’y parvient pas lui-même. Alors, il demande de l’aide. Il demande de l’aide au soleil qui représente d’abord ce qui est très loin, hors de la Terre précisément. Il demande donc de l’aide à ce qui est Autre. Ensuite, le soleil peut représenter un dieu, hors du monde, transcendant, à moins que ce ne soit le soleil lui-même comme astre qui soit à l’origine de notre idée de dieu hors du monde…

Il est surprenant d’attendre des autres de nous dire qui nous sommes : ne le savons-nous pas nous-mêmes ? Ou si ce savoir n’est pas immédiat, ne sommes-nous pas le mieux placés pour le savoir ?

A moins qu’il ne faille une distance entre le sujet qui connaît et la chose à connaître, à moins que cette distance soit la condition pour passer de la conscience de soi à la connaissance de soi. A moins que la bonne distance soit une condition de possibilité de l’objectivité. L’objectivité devrait en effet lutter contre la mauvaise foi, l’aveuglement, l’inconscient…

Mais n’y a-t-il pas aussi des conditions à remplir pour qu’autrui me connaisse ? Et qu’est-ce qui pourrait l’empêcher de me connaître ? Ses préjugés ? Son orgueil ? Sa mauvaise foi ? Son inconscient ?...

Page 9 : « Le soleil peut bien attendre »

On voit que la curiosité pour le monde peut nous détourner des questions existentielles sur nous-mêmes. Le monde aussi nous intéresse et autrui peut aussi nous éloigner de nous-mêmes. C’est son ambivalence. Par ailleurs, on verra plus loin que c’est en explorant le monde et en écoutant autrui que Saphir apprendra ce qu’il est et quelle est son origine.

Page 10 : « Emportés dans leur élan, ils ne la remarquent même pas »

C’est le paradoxe de la recherche de la vérité : en voulant voir quelque chose, on s’empêche parfois de voir ce qui était à côté de soi !

Page 12 :

Nous avons là une démarche scientifique : décrire, comparer, mesurer, rapprocher plusieurs expériences et faire des hypothèses.

Page 15 : « Ressent progressivement une irrésistible envie de découvrir le monde »

Cette idée signifie que le désir de connaitre, l’intérêt pour ce qui n’est pas nous est naturel, inné. Dommage qu’on le perde et qu’il faille parfois nous forcer à apprendre ! Que s’est-il passé alors ?

« La naissance d’un semblable » :

Qu’est-ce qu’un semblable ? Est-ce celui qui me ressemble ? Doit-il avoir des points communs avec moi ? Y a-t-il des différences fondamentales qui feraient qu’on ne peut pas dire d’un être que c’est mon semblable ?

Page 16 :

La particularité des personnages, ce qui les distingue des humains c’est le fait de ne pas avoir besoin d’apprendre à parler. Sitôt nés, ils savent le faire. Pour les humains, le langage est le fruit d’une longue acquisition et n’advient jamais si personne ne nous parle (Lucien Malson Les enfants sauvages).

De même, ils se posent déjà des questions alors que les humains doivent faire des expériences pour se poser des questions. Les questions ne sont sans doute par premières chez les humains. Elles supposent aussi peut-être des échanges avec d’autres humains. D’où nous viennent nos questions ?

A l’inverse, l’idée d’avoir déjà des connaissances et une intelligence fait penser à l’idéalisme de Platon : l’expérience a du sens pour les humains parce qu’ils ont déjà un savoir qui permet d’ordonner les sensations. On peut opposer les philosophies idéalistes (Platon) des philosophies empiristes (Hume).

Par ailleurs, ils ont des connaissances et une intelligence mais ne se connaissent pas eux-mêmes. On retrouve la spécificité de la connaissance de soi, la plus difficile semble-t-il.

Mais il est aussi question du corps : un corps qui peut, un corps qui a du plaisir. Leur intelligence n’est pas enfermée dans un corps comme dans une prison. Cet éloge du corps se clôt sur l’enlacement des corps. Leurs corps bien que différents sont complices et fraternels. D’où vient ce sentiment de fraternité si l’on ne sait pas qui l’on est et alors qu’on est si différent ? Faut-il se ressembler pour être frère ? Que doit-on avoir en commun ? Peut-on se sentir frère au premier regard ?

Page 18 : « Ils aimeraient savoir comment tout commence, comment ils sont semblables et comment ils sont différents »

Ils ne veulent pas savoir s’ils sont semblables ou pourquoi ils sont semblables. Ils veulent savoir comment ils sont semblables. Drôle de formule !

Mais ces questions existentielles laissent de nouveau place à une description scientifique de leur naissance. Mais la naissance, est-ce cela l’origine ?

 

 

Chapitre 2

- Révélations -

 

Page 21 et suivantes :

Comment se présentent-ils ?

 Ils précisent leur âge. Qu’est-ce que l’âge a à dire de notre identité ? Notre âge est-il constitutif de notre identité ?

Ils racontent ce qu’ils font, quelle est leur spécialité, voire leur singularité. Notre identité peut en effet se décliner selon deux pôles : ce que l’on a de commun avec les autres et ce qui est unique en nous. Leur spécificité tient à leur corps. C’est aussi le corps qui dicte l’activité, la spécificité de chacun. Il est adapté à l’activité car il la précède et en est la cause. Peut-on dire cela des humains : notre corps détermine-t-il ce que l’on fait ? Ce que l’on aime faire ? Ce que l’on fait bien ?

Contre l’idée de libre arbitre qui nous permettrait d’agir (Socrate, Descartes, Kant), on illustre plutôt des philosophies du corps, comme celle de Spinoza ou Nietzsche.

Notons aussi le compartimentage de la connaissance : connaître, c’est classer, diviser, catégoriser. Auparavant, les scientifiques étaient aussi des philosophes (Descartes, Pascal) et faisaient aussi bien des mathématiques que de la physique. Maintenant, la philosophie et les sciences se distinguent, les sciences sont plurielles, les scientifiques sont des spécialistes et ont des connaissances dans leur domaine mais pas dans les autres.  Faut-il le déplorer ? Y gagne-t-on à être un spécialiste ? Un savoir universel est-il accessible aux humains ?

Page 22 : « Grâce à mes explorations, je me suis rendu compte que j’avais des connaissances »

Et page 32 : « toutes ces informations sommeillaient en eux et n’attendaient qu’un signal pour se révéler »

L’expérience permet-elle toute connaissance ou suppose-t-elle déjà des connaissances, voire même réactive-t-elle des connaissances ?

Platon pense que l’expérience est l’occasion d’une réminiscence de ce que nous savions sans en avoir conscience. Kant estime que l’expérience n’est possible qu’à partir d’éléments de connaissance que nous portons déjà en nous (par exemple, les catégories d’espace et de temps qui n’existent pas hors de nous mais sont le cadre humain à partir duquel nous faisons des expériences, ou le concept de causalité)

Page 23 : « Mes yeux se transforment en microscopes »

Pour ces êtres, il n’y a pas de différence entre le corps et l’outil. Cela nous permet de voir en négatif  que les humains ont eux aussi des outils qui prolongent leur corps et leur capacité. Cependant, les outils restent extérieurs à eux. C’est pour cette raison qu’ils peuvent changer d’outils et passer du microscope au télescope. Par conséquent, si l’humain est l’animal dont le corps est le plus fragile, il a fabriqué des outils qui lui donnent, quand il les utilise, les capacités de presque tous les animaux. Cette fragilité s’est muée en force.

 « Nous avons […] découvert un mélange de cristaux et de plantes que nous avons nommé cristoplantes »

Interrogeons le pouvoir de nommer : quel lien y a-t-il entre connaître et nommer ? Et nommer ne nous donne-t-il pas du pouvoir sur la chose ? N’est-ce pas une manière de la faire nôtre ? De se l’approprier ? Et aussi de faire comme si elle ne nous était pas inconnue ?

L’union des deux sciences est fructueuse. Y a-t-il une union comparable chez les humains ?

Page 24 : « L’échange d’informations qui leur est propre »

Les mots provoquent les images des choses désignées, mais contrairement aux humains, des images parfaites, et même lorsqu’on ne connaît pas la chose désignée.  C’est comme si les mots avaient le pouvoir de mettre en marche un vidéo projecteur. Mais est-ce le pouvoir des mots ? Ou celui de l’imagination ? C’est que ces êtres semblent avoir des connaissances qui se réactivent sitôt les mots prononcés. On voit qu’ils semblent être des machines très perfectionnées.

Page 25 : « Notre joie de vivre diminue. Nous nous posons sans cesse des questions sur nos origines et cela nous préoccupe beaucoup »

Alors que l’exploration et les trouvailles scientifiques les enchantent, le questionnement philosophique est vécu comme une préoccupation, comme quelque chose qui mine. La philosophie, l’ignorance consciente, sont-elles compatibles avec la joie de vivre ? Il semble que la joie de vivre soit première et qu’il en découle le questionnement. Mais celui-ci met fin à la joie quand on n’a pas de réponse. Le questionnement existentiel est-il une corruption de la vie ? Une forme dégradée de la vie ? Faut-il l’abandonner et éprouver la joie de vivre ? Ou la connaissance vaut-elle mieux que la joie ? Y a-t-il un prix à payer pour connaître ?

Page 26 : « Je vous ai observé vous poser ces questions : qui sommes-nous ? Pourquoi sommes-nous ici ? Et d’où venons-nous ? »

Par rapport au chapitre 1, il y a une nouvelle question, la question du pourquoi. C’est la question du sens. La vie semble envisagée comme un moyen pour autre chose qu’elle-même et non comme une fin en soi. Là encore, n’est-ce pas un dévoiement de la vie ? La joie de vivre nous montre que la vie est une fin en soi, c’est-à-dire est voulue pour elle-même et non comme un moyen pour autre chose. Pourquoi faire de la vie une esclave au service d’autre chose ? Cela lui donne-t-il sa valeur ou cela lui ôte-t-il sa valeur ?

Peut-être que les deux premières questions sont une déclinaison de la troisième, c’est-à-dire qu’en y répondant, on répond à la dernière. Du coup, le qui sommes-nous peut-être une question collective (on aurait la même origine et le même rôle à jouer) ou peut être individuelle (chacun peut avoir un but différent dans la vie, peut donner un sens particulier, unique à sa vie).

 Qui donne sens à la vie ? La vie elle-même ? Un dieu ? La communauté à laquelle on appartient ? Chacun ? Quelles sont les autres options possibles ?

Page 32 : « Trouver la vérité de leur existence »

Elle réside dans leur origine : qui les a créés ? Les humains.

Leur nature : un composé de matières artificielles et de cellules biologiques vivantes

Leur nom : robonautes

Leur fonction : préparer l’arrivée des humains sur cette planète

Après chacun a une fonction particulière pour concourir à cette fin.

Ces catégories sont-elles suffisantes pour se connaître ? Nous, humains, pouvons-nous répondre à ces questions nous concernant ? Est-ce d’ailleurs souhaitable ?

 

Après, il reste un élément à clarifier : l’esprit dont il est question page 28 …